D’après le célèbre Cardinal Louis-Edouard Pie (1815-1880), Dieu a créé la France pour l’Église et jamais la France n’abdiquera entièrement de sa mission de Chevalier du Christ. Pour lui, le triomphe du Droit chrétien était intimement lié à la question de l’avenir religieux de la France. C’est un fait qu’il constate, dans une homélie pastorale au retour d’un voyage ad limina en 1873 : « Ceux, dit-il, qui attendent et ceux qui redoutent le rétablissement de l’ordre chrétien dans le monde sont d’accord pour ne le juger possible et réalisable que par la France ».
La question posée, « le Christ régnera-t-il ? », revient donc pour l’ancien évêque de Poitiers à celle-ci : « La France reprendra-telle son rôle antique de Chevalier du Christ ? »
Le 5 décembre 1865, terminant l’oraison funèbre du général de Lamoricière, Mgr Pie eut une envolée semblant prophétique, que Pie X a fait sienne dans une allocution au Consistoire de 1911.
Après avoir rappelé « qu’il y a dans la politique, comme dans la religion, une espèce de pénitence plus glorieuse que l’innocence même qui répare des jours de fragilité par des années d’héroïsme», il s’écrie :
« Seigneur, mon Dieu, vous avez créé la France pour l’Église et jamais la France n’abdiquera entièrement sa mission. Il y a dans le naturel de ce pays, des ressources infinies et les esprits y sont capables de retours inespérés… Dieu tient dans Ses mains les cœurs des peuples aussi bien que les cœurs des hommes. Courage, ô France, c’est ainsi que tu reviendras à ta vocation première. De précieux instincts qui se dérobent encore à toi, mais qui ne sont qu’endormis, se réveilleront dans ton sein. Et tandis que, comme Saul respirant encore les menaces et le carnage sur la route de Damas, tu sembleras lancée peut-être dans la voie de l’impiété et de la violence, tout-à-coup, une force secrète te renversera, une lumière subite t’enveloppera et une voix se fera entendre : « Qui êtes-vous, t’écriras-tu… Qui es Domine ? » Je suis Jésus que tu poursuis, que tu persécutes. Ego sum Jesus quem tu persequeris. Ô France, il est dur pour toi de regimber contre l’aiguillon. Faire la guerre à Dieu n’est pas dans ta nature. Relève-toi, race prédestinée, race d’élection et va, comme par le passé, porter Mon nom à tous les peuples et à tous les rois de la terre ».
La France redeviendra-t-elle chrétienne ?
En une autre circonstance, le grand Évêque étudie plus à froid, plus humainement dirions-nous, si la France peut redevenir chrétienne. Citons ce second passage :
«Il y a, pour notre race, une vocation, une prédestination dont nous devons subir toutes les conséquences. (…) Si elle [la France] se précipite dans le mal ou seulement si elle devient indifférente au bien, le châtiment suit de près la faute et absout la justice du ciel ; si elle retrouve ses nobles instincts de zèle pour la vérité et d’amour pour la vertu, la prospérité renaît autour d’elle ; et témoins du sceau particulier imprimé à ses revers ainsi qu’à ses succès, jaloux peut-être des uns et des autres, mille peuples divers proclament comme faisait autrefois le vieil Achior, à propos de la nation sainte, que la France a reçu la bienheureuse prérogative de ne jamais pécher impunément et de se relever toujours par le secours même du bras qui l’a châtiée. Telle est la constitution divine qui régit les destinées de notre pays, nul de nous ne changera cette loi. Joignez à cela cette inflexibilité de logique, cette marche rapide et précipitée vers les conclusions extrêmes, ce passage presqu’instantané des prémisses aux conséquences, cette facilité avec laquelle les doctrines descendent de la tête aux bras qui les traduisent par des actes, en un mot, cette rigueur pratique et instinctive de raisonnement et de déduction qui est en quelque sorte l’esprit de notre caractère national et qui établit la principale différence entre un esprit français et une intelligence anglaise ou germanique, et vous reconnaîtrez que la France est un pays où l’irréligion et l’erreur ne sauraient être contenues dans leurs développements, où la prospérité, même passagère, est inconciliable avec des principes faux, des exemples funestes, des omissions coupables. Que d’autres s’en plaignent, c’est selon nous la principale fortune de la France que ni la Providence divine, ni son tempérament naturel ne lui permettent de rester tranquillement assise dans les ténèbres et les ombres de la mort, mais que son mal devienne bientôt si extrême qu’elle doive accepter le remède ou risquer de périr dans la crise ».
Tels sont les deux textes principaux qui nous semblent résumer les espérances de Mgr Pie : La France reprendra son rôle de Chevalier du Christ.
Source : « La royauté sociale de N. S. Jésus-Christ d’après le Cardinal Pie », P. Théotime de Saint Just